Innocence oubliée

par | 20 Oct 2016 | Nouvelles

Image pour représenter Innocence oubliée

 

 

Elle ignorait. C’était sa seule défense. Que pouvait elle faire ? Elle avait trop honte pour demander de l’aide.

Ces gens qui la pointaient du doigt, elle ne comprenait pas. Et ceux qui rigolaient. Elle ne comprenait pas non plus. Elle sait que les gens peuvent être cruels. Parfois elle se demande s’ils sont simplement bêtes ou même inconscients de ce qu’ils font.

Tous les matins pendant de longs mois, puis de longues années, elle arrivait à l’école, souriait à sa mère, rentrait dans le bâtiment et subissait. Cela avait commencé par une simple blague. Mais tout avait dégénéré.

Pour elle ? Une torture à répétition.

— Petite grosse.

Drôle ? Pas pour elle. Elle entre et les insultes tombent, comme la pluie en automne.

— Alors qu’est-ce que tu as fait ce week-end ?

— Pourquoi tu lui demandes ? Elle a mangé évidemment !

Elle avance. Elle sent leur regard empli de méchanceté se poser sur elle mais elle continue d’avancer. Elle reçoit un stylo au visage et entend les éclats de rire des élèves. Puis une gomme, un taille-crayon, une trousse entière et même de la nourriture. Pourtant elle ne s’arrête pas. Ni pour se défendre ni pour demander de l’aide.

Non.

Elle avance et va s’enfermer dans les toilettes des filles. Personne ne la suit mais elle entend encore dans sa tête les rires, elle voit encore leur expression dégoûtée ou moqueuse quand elle est entrée.

Elle se sent moche, elle voudrait plaire. Elle se sent grosse, elle voudrait être mince.

Une nausée profonde lui coupe la respiration tandis qu’elle met un doigt dans sa gorge. Elle vomit. Elle espère qu’en faisant cela, elle sera plus belle. Elle espère qu’on l’aimera. La sonnerie de son collège résonne. Elle sort des toilettes en s’essuyant la bouche et se dirige vers sa classe. La boule au ventre et la gorge serrée, elle marche silencieusement dans les couloirs vides.

Arrivée devant la porte de sa classe elle s’arrête. Elle pense qu’elle pourrait tout simplement partir mais elle songe également à la réaction de ses parents si elle faisait ça. Alors elle toque et quand la réponse de son professeur se fait entendre elle entre.

Tout le monde la regarde avec un sourire moqueur. Alors qu’elle slalome entre les tables pour rejoindre sa place, les élèves lui lancent chacun leur tour des piques cinglantes.

— Encore plus grosse que tout à l’heure.

Et d’une.

— Oh mon Dieu tu pues c’est atroce.

Et de deux.

— Tu as vomi ? C’est dégueulasse.

Et de trois.

S’ensuivent d’autres remarques blessantes et odieuses.

La honte d’elle-même est de plus en plus pesante au fil des jours. Elle rentre chez elle et elle sourit à ses parents mais une fois seule dans sa chambre elle pleure. Elle ne dort plus. Chaque fois qu’elle mange elle se fait vomir. Sa santé se détériore, elle a souvent des faiblesses mais elle le cache.

Personne ne remarque sa souffrance. Vint alors la peur d’être vue. Elle ne sort plus ni le week-end ni les vacances. Ses parents travaillent beaucoup et ne voient pas l’horreur qui se prépare chez eux.

Un an passe puis deux. La seule différence ? Elle ne mange plus rien, elle pleure sans s’arrêter. Ses parents ne comprennent pas. Elle ne veut rien leur dire. Ils contactent son collège pour savoir ce qui arrive à leur précieuse fille. La réponse des professeurs est peu satisfaisante. D’après eux tout le monde s’entend bien et, s’il y a des problèmes, ce ne sont que des enfants ils comprendront plus tard.

Mais alors que les mois passent, son état empire et elle tombe petit à petit dans la dépression.

Sa vie n’est plus qu’une suite de moments humiliants qui la détruisent.

Maintenant au lycée, elle a espéré… Mais rien n’a changé. C’est même pire. Maintenant en plus des élèves, les professeurs s’en prennent à elle. Ils ne cessent de la rabaisser.

Elle ne pleure plus dorénavant. La tristesse est trop grande, elle s’enferme dans un mutisme et ne parle plus à personne.

Ses parents désespérés lui font voir un psychologue qui malheureusement ne pourra jamais rien pour elle.

Au lycée elle ne va plus en cours. Elle reste enfermée dans les toilettes dès qu’elle arrive. Après tout ce temps elle est convaincue que tout ce qui lui arrive est sa faute. Elle est fautive. La honte, le dégoût d’elle-même lui torture l’esprit. Chaque fois qu’elle se regarde dans un miroir, elle est malade et elle veut mourir, mais elle a peur.

Voilà presque deux ans qu’elle n’a pas souri. Son visage enfantin et heureux a laissé la place à un visage morne, dénué de joie et complètement éteint. Ses yeux remplis d’émerveillement ont disparu, ils sont désormais injectés de sang par le manque de sommeil et la tristesse. On dit que les yeux sont les fenêtres de l’âme… C’est exact. Ses yeux nous montrent une âme brisée qui a volé en éclats depuis longtemps déjà.

Elle ne supporte plus rien. Tout ce qui se passe la met en colère. Elle détruit sa chambre. Tout est en miettes et elle n’a pas fini. Elle s’attaque à la salle de bains. Elle brise le miroir. Alors que les débris s’étalent sur le sol, des éclats de verre, elle s’écroule et machinalement en ramasse un. Elle l’approche de son poignet, et doucement fait glisser le bris de miroir le long de son bras, du sang jaillit de la blessure et étrangement elle ne sent rien. La douleur de son esprit est bien plus forte, alors elle recommence plusieurs fois et appuyant plus fort. Le sang coule et elle sent qu’elle perd petit à petit connaissance. Elle se sent bien pour la première fois depuis quatre ans. Dans sa demi-conscience elle entend des bruits. Celui d’une porte qui s’ouvre et se ferme puis des bruits de pas et enfin le cri de sa mère qui la trouve. Puis plus rien.

Lorsqu’elle ouvre les yeux, une lumière vive l’aveugle quelques instants. Elle s’habitue et après avoir observé la pièce elle remarque qu’elle est dans un hôpital. Elle se rappelle qu’elle a tenté de mettre fin à ses jours. Des souvenirs lui reviennent et elle regrette de ne pas avoir réussi.

« Incapable de mourir… Bonne à rien… Sans intérêt… »

Voilà les pensées qui la tourmentent.

De retour chez elle, ses parents restent près d’elle en permanence mais rien n’y fait. Elle veut mourir. Au plus profond d’elle-même. Ils la soutiennent, l’emmènent voir plein de personnes qui souhaitent l’aider. Ils sont prêts à tout pour que leur fille aille mieux. Elle rencontre Marie et Hélène. Toutes deux ont subi le harcèlement. Pendant des jours elles ont parlé.

Elles lui ont redonné espoir.

Après plusieurs mois elle retourne enfin au lycée.

Les moqueries recommencent. Mais cette fois Innocence a changé. Ce n’est plus la petite fille qui ne comprend pas. Ce n’est plus cette enfant qui se laisse faire.

Alors qu’elle entre dans le lycée des élèves s’attroupent autour d’elle.

— Eh mais ce n’est pas la grosse qui a essayé de se tuer ?

— Tu veux rire ? Quelle horreur. Elle aurait mieux fait de réussir !

Ses cheveux cachent son visage et elle avance silencieusement. Un élève lui barre alors le passage.

— Il t’est arrivé quoi ?

Un sourire moqueur s’étire sur son visage. Elle relève la tête et la surprise se peint sur les traits du jeune homme. Elle sourit aussi.

— J’ai grandi.

Deux mots… Et elle repart.

Elle a eu peur, elle a eu mal mais plus aujourd’hui. Elle a souffert mais désormais elle est forte. Elle va se battre. Elle est prête.

Aujourd’hui Innocence est décidée à faire changer les choses. C’est sa vie et elle va en faire ce qu’elle veut.

Une innocence oubliée mais une jeune femme déterminée.

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